(04.04.2002 18h43) Pourquoi alors une telle impression cruelle
de danger était-elle perceptible dans lair ? Pour
quelle raison le sommeil fuyait désespérément les yeux et le
cur ? Pourquoi la sérénité des oiseaux ne
transparaissait-elle pas dans latmosphère ? La jeune femme ferma dun geste nerveux
le pan lourd de son large manteau de velours bleu nuit qui avait
glissé sur le côté, dans un instant dinattention, puis
tourna brusquement la tête sur la droite, percevant une
présence autre que la sienne. « Que fais-tu là ? tu ma
fait peur . »Le ton de sa voix était sec, plein de
reproche. Une voix sombre et calme lui
répondit : « Cest plutôt à moi de te
poser cette question, ma mie. Que fais-tu donc sur le balcon à
cette heure ? Ne devrais-tu pas tapprêter pour la
fête de ce soir ?Allons, quy a-t-il ? Tu peux
tout me dire, tu sais
» Se retournant assez vivement, elle fit face
à la silhouette qui se profilait lentement à sa rencontre. Elle
retint un frisson en le voyant clairement apparaître a la
lumière pâle et froide des deux lunes, puis répondit
dune voix blanche, atone : « Je
Je nai rien à te
dire, Duigmond. Rien. Laisse moi donc tranquille , veux-tu !
Fiche-moi la paix ! » Ces derniers mots étaient
prononcés dune voix haut-perchée, comme dans un cri de
détresse avorté. La jeune femme sexhorta vainement au
calme, tout en tentant de tenir tête à lhomme imposant
qui lui faisait face, une sourire condescendant aux lèvres, donc
les yeux verts de fauves la détaillaient sans vergogne,
augmentant sans pitié son malaise. « Soit, ma chère, soit . Tu sais
bien que je ne cherche quà te soulager et à taider.
Pourquoi donc es-tu si
hargneuse envers moi ?
Taurais-je déplût en quelque façon ? Dis-moi quelle
a été mon erreur, et je la réparerais aussitôt, je le
jure
-Ne jure pas, malheureux ! Tu ne sais
pas ce que tu fais, tu nes pas
tu nes plus le
même depuis
» Resserrant frileusement le tissus lourd de
sa pelisse sur elle, dans une tentative déchapper au
regard de Duigmond. Dans un mouvement saccadé, la jeune femme
contourna sa haute silhouette masculine qui occultait
lembrasure de la porte et gagna lobscurité
sécurisante de la pièce chaude qui jouxtait le balcon. Là,
elle parcourût nerveusement lespace, allumant fébrilement
les chandeliers présents, créant une nouvelle clarté dans
lombre croissante du coucher du jour. Quant à lhomme
qui était apparemment à lorigine de son trouble
grandissant, il la rejoignit dans la pièce nouvellement
éclairée et se laissa négligemment tombé dans un fauteuil de
cuir brun confortable qui se trouvait là, avec une indéniable
grâce et une légèreté féline qui laissait entrevoir
lincroyable assurance qui semblait lhabiter. « Depuis
? » Il lui
adressa un sourire sardonique et ironique. « Allons, ma mie, tu te fais des
idées, je suis toujours le même ; plus mûr, plus sûr,
plus fort, mais toujours ton Duigmond, ma tendre. » La jeune femme frémit et une grimace de
dégoût déforma momentanément ses traits gracieux et fins en
un masque figé. Elle répondit dune voix sifflante et
très effacée, comme en un murmure de haine : « Ne mappelle plus JAMAIS ainsi,
tu as compris ? Je ne suis pas « Ta Tendre », je
ne suis RIEN pour toi , tout comme tu nes rien pour moi,
PLUS RIEN ! Laisse moi ! » Mais lhomme laissa échapper un rire
conquérant, implacable, irrésistible, puis, la regardant dans
les yeux , il reprit : « Ah ! Ma chère, ma douce
Elisangdra ! Que tu me plaît, ainsi !Tu refuse
toujours la vérité, nest-ce pas ? Non, je nai
pas changé, et oui, tu mappartiens encore, malgré toi
certes, mais tu ny peux rien, ma mie
» La jeune femme fût trahie par son
corps : sa main caressa furtivement le bijoux quil lui
avait offert, il y a si longtemps, avant de partir ; son
cur se mit à danser la gigue dans sa poitrine ; ses
yeux dun bleu profond se détournèrent pudiquement de la
silhouette de cet homme ; sa bouche pris un pli léger dans
son effort inutile pour chasser les souvenirs qui lui revenaient
inlassablement en mémoire. Duigmond laissa fleurir encore un autre
sourire ironique en sapercevant de cela. « Ose le nier, ma douce
» Elisangdra le foudroya dun regard qui
se voulait haineux mais qui se révéla humide, désespéré,
presque suppliant. « Je dois me préparer , comme tu
las justement fais remarqué, pour tout à
lheure
Laisse moi, sil-te-plaît
» Duigmond se leva lentement du fauteuil de
cuir, savança vers elle, effleura se joue dune main
possessive, lui adressant un sourire doux qui démentait
miraculeusement toute la dureté du personnage, puis sen
alla , non sans ajouter ces quelques mots : « Oui, tu as raison, ma tendre
A
tout à lheure, ma princesse, fais-toi belle pour me faire
honneur, car ce soir, oui ce soir ! tu ne pourra plus
refuser dêtre à moi, ma très chère
fiancée
» La jeune femme demeura un instant figée
dans la position quelle arborait en sa présence, droite,
raide, froide, le visage fermé , puis elle sécroula
brusquement au sol, comme tombe un tissus trop lourd , et pleura
en silence toutes les larmes du monde, comme si la terre entière
se lamentait à travers elle
Une demi-heure plus tard, elle parvint
finalement à se lever, pour se diriger aussitôt vers un petit
meuble en bois de chêne pourvu de quatre tiroirs. Elle ouvrit le
deuxième et en tira un petit médaillon quelle ouvrit
précautionneusement. Une photo apparût , révélant le visage
dun jeune éphèbe blond au cheveux long, dont les yeux
verts étaient souriant, dont les lèvres se fendaient en un
sourire lumineux, dont le visage enfin ninspirait
quamour et respect. Elisangdra soupira longuement. « Duiguy
Que
test-il arrivé ? » Refermant le médaillon,
elle le reposa au fond du deuxième tiroir et le referma
doucement, sans bruit. Dune main hésitante, elle ouvrit le
dernier tiroir : elle en sortit une petite fiole verte
contenant une liquide plutôt visqueux à la vue et qui
remplissait le flacon au quart. Portant la fiole à hauteur de
son regard, elle fit danser le liquide et le regarda avec un
sentiment proche de la curiosité : le mystérieux et
tristement fameux « Fluide Lacrymal des Deux Lunes »-
également appelé le Lunitudeth-, le divin breuvage qui
permettait, à petite dose, de guérir nimporte quel mal,
mais qui, à forte dose, pouvait causer une mort longue et
pénible
Reposant finalement la fiole avec prudence
dans son tiroir, elle ferma celui-ci dun sort de sceau
quelle murmura du bout des lèvres, puis, comme sil
en avait toujours été ainsi, elle se dirigea paisiblement vers
la garde-robe au fond de la pièce, le feuilletant comme on
feuillette un grimoire, avec respect et admiration, choisissant
une toilette de soie violette et fushia, qui égayerai son teint
pâle encadré par sa sombre et longue chevelure, qui lui tombait
en lourdes boucles sur les reins. Elle tira brièvement sur un
cordon noir qui pendait au milieu de la pièce, posa la
magnifique toilette colorée sur lun des fauteuils et
sassit lentement dans le même fauteuil gris quavait
occupé lhomme peu de temps auparavant. « Et maintenant, que la fête
commence !
»Sa voix était sourde, déterminée ;
son regard se fixa la porte sans la voir, dun regard
farouche et presque sauvage
Fin |
Saksha ^_^