(04.04.2002  18h43)

 

Le soleil se couchait paresseusement à l’horizon ; les oiseaux abandonnaient la cime des cieux et gagnaient leurs nids, tout en  entonnant paisiblement leur dernier chant ; les arbres, royaux, semblaient saluer la venue de la nuit, souveraine, silencieuse, belle, sombre, du battement imperceptible de la sève dans leurs larges troncs… La vie se mettait en pause, inaugurant une nouvelle période de calme béni que l’on nomme nuit…

 

Pourquoi alors une telle impression cruelle de danger était-elle perceptible dans l’air ? Pour quelle raison le sommeil fuyait désespérément les yeux et le cœur ? Pourquoi la sérénité des oiseaux ne transparaissait-elle pas dans l’atmosphère ?

 

La jeune femme ferma d’un geste nerveux le pan lourd de son large manteau de velours bleu nuit qui avait glissé sur le côté, dans un instant d’inattention, puis tourna brusquement la tête sur la droite, percevant une présence autre que la sienne.

 

« Que fais-tu là ? tu m’a fait peur . »Le ton de sa voix était sec, plein de reproche.

Une voix sombre et calme lui répondit :

« C’est plutôt à moi de te poser cette question, ma mie. Que fais-tu donc sur le balcon à cette heure ? Ne devrais-tu pas t’apprêter pour la fête de ce soir ?Allons, qu’y a-t-il ? Tu peux tout me dire, tu sais… »

Se retournant assez vivement, elle fit face à la silhouette qui se profilait lentement à sa rencontre. Elle retint un frisson en le voyant clairement apparaître a la lumière pâle et froide des deux lunes, puis répondit d’une voix blanche, atone :

« Je… Je n’ai rien à te dire, Duigmond. Rien. Laisse moi donc tranquille , veux-tu ! Fiche-moi la paix ! » Ces derniers mots étaient prononcés d’une voix haut-perchée, comme dans un cri de détresse avorté. La jeune femme s’exhorta vainement au calme, tout en tentant de tenir tête à l’homme imposant qui lui faisait face, une sourire condescendant aux lèvres, donc les yeux verts de fauves la détaillaient sans vergogne, augmentant sans pitié son malaise.

« Soit, ma chère, soit . Tu sais bien que je ne cherche qu’à te soulager et à t’aider. Pourquoi donc es-tu si… hargneuse envers moi ? T’aurais-je déplût en quelque façon ? Dis-moi quelle a été mon erreur, et je la réparerais aussitôt, je le jure… 

-Ne jure pas, malheureux ! Tu ne sais pas ce que tu fais, tu n’es pas… tu n’es plus le même depuis… »

 

Resserrant frileusement le tissus lourd de sa pelisse sur elle, dans une tentative d’échapper au regard de Duigmond. Dans un mouvement saccadé, la jeune femme contourna sa haute silhouette masculine qui occultait l’embrasure de la porte et gagna l’obscurité sécurisante de la pièce chaude qui jouxtait le balcon. Là, elle parcourût nerveusement l’espace, allumant fébrilement les chandeliers présents, créant une nouvelle clarté dans l’ombre croissante du coucher du jour. Quant à l’homme qui était apparemment à l’origine de son trouble grandissant, il la rejoignit dans la pièce nouvellement éclairée et se laissa négligemment tombé dans un fauteuil de cuir brun confortable qui se trouvait là, avec une indéniable grâce et une légèreté féline qui laissait entrevoir l’incroyable assurance qui semblait l’habiter.

 

« Depuis… ? » Il lui adressa un sourire sardonique et ironique.

« Allons, ma mie, tu te fais des idées, je suis toujours le même ; plus mûr, plus sûr, plus fort, mais toujours ton Duigmond, ma tendre. »

La jeune femme frémit et une grimace de dégoût déforma momentanément ses traits gracieux et fins en un masque figé. Elle répondit d’une voix sifflante et très effacée, comme en un murmure de haine :

« Ne m’appelle plus JAMAIS ainsi, tu as compris ? Je ne suis pas « Ta Tendre », je ne suis RIEN pour toi , tout comme tu n’es rien pour moi, PLUS RIEN ! Laisse moi ! »

Mais l’homme laissa échapper un rire conquérant, implacable, irrésistible, puis, la regardant dans les yeux , il reprit :

« Ah ! Ma chère, ma douce Elisangdra ! Que tu me plaît, ainsi !Tu refuse toujours la vérité, n’est-ce pas ? Non, je n’ai pas changé, et oui, tu m’appartiens encore, malgré toi certes, mais tu n’y peux rien, ma mie… »

La jeune femme fût trahie par son corps : sa main caressa furtivement le bijoux qu’il lui avait offert, il y a si longtemps, avant de partir ; son cœur se mit à danser la gigue dans sa poitrine ; ses yeux d’un bleu profond se détournèrent pudiquement de la silhouette de cet homme ; sa bouche pris un pli léger dans son effort inutile pour chasser les souvenirs qui lui revenaient inlassablement en mémoire.

Duigmond laissa fleurir encore un autre sourire ironique en s’apercevant de cela.

« Ose le nier, ma douce… »

 

Elisangdra le foudroya d’un regard qui se voulait haineux mais qui se révéla humide, désespéré, presque suppliant.

« Je dois me préparer , comme tu l’as justement fais remarqué, pour tout à l’heure…Laisse moi, s’il-te-plaît… »

Duigmond se leva lentement du fauteuil de cuir, s’avança vers elle, effleura se joue d’une main possessive, lui adressant un sourire doux qui démentait miraculeusement toute la dureté du personnage, puis s’en alla , non sans ajouter ces quelques mots :

« Oui, tu as raison, ma tendre… A tout à l’heure, ma princesse, fais-toi belle pour me faire honneur, car ce soir, oui ce soir ! tu ne pourra plus refuser d’être à moi, ma très chère fiancée… »

 

La jeune femme demeura un instant figée dans la position qu’elle arborait en sa présence, droite, raide, froide, le visage fermé , puis elle s’écroula brusquement au sol, comme tombe un tissus trop lourd , et pleura en silence toutes les larmes du monde, comme si la terre entière se lamentait à travers elle…

Une demi-heure plus tard, elle parvint finalement à se lever, pour se diriger aussitôt vers un petit meuble en bois de chêne pourvu de quatre tiroirs. Elle ouvrit le deuxième et en tira un petit médaillon qu’elle ouvrit précautionneusement. Une photo apparût , révélant le visage d’un jeune éphèbe blond au cheveux long, dont les yeux verts étaient souriant, dont les lèvres se fendaient en un sourire lumineux, dont le visage enfin n’inspirait qu’amour et respect. Elisangdra soupira longuement. « Duiguy… Que t’est-il arrivé ? » Refermant le médaillon, elle le reposa au fond du deuxième tiroir et le referma doucement, sans bruit. D’une main hésitante, elle ouvrit le dernier tiroir : elle en sortit une petite fiole verte contenant une liquide plutôt visqueux à la vue et qui remplissait le flacon au quart. Portant la fiole à hauteur de son regard, elle fit danser le liquide et le regarda avec un sentiment proche de la curiosité : le mystérieux et tristement fameux « Fluide Lacrymal des Deux Lunes »- également appelé le Lunitudeth-, le divin breuvage qui permettait, à petite dose, de guérir n’importe quel mal, mais qui, à forte dose, pouvait causer une mort longue et pénible…

 

Reposant finalement la fiole avec prudence dans son tiroir, elle ferma celui-ci d’un sort de sceau qu’elle murmura du bout des lèvres, puis, comme s’il en avait toujours été ainsi, elle se dirigea paisiblement vers la garde-robe au fond de la pièce, le feuilletant comme on feuillette un grimoire, avec respect et admiration, choisissant une toilette de soie violette et fushia, qui égayerai son teint pâle encadré par sa sombre et longue chevelure, qui lui tombait en lourdes boucles sur les reins. Elle tira brièvement sur un cordon noir qui pendait au milieu de la pièce, posa la magnifique toilette colorée sur l’un des fauteuils et s’assit lentement dans le même fauteuil gris qu’avait occupé l’homme peu de temps auparavant.

 

« Et maintenant, que la fête commence !…»Sa voix était sourde, déterminée ; son regard se fixa la porte sans la voir, d’un regard farouche et presque sauvage…

 

Fin

 

 

 

Saksha ^_^

 

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